L’INITIATION CHAMANIQUE

L’initiation chamanique est une cérémonie importante dans toutes les doctrines mystiques et non une exception. L’initiation dévoile pas à pas au néophyte les mystères du côté intérieur de l’existence, son sens caché, en le menant au nouveau niveau de la conscience et de la perception, en le plongeant dans le monde du sacré dont il revient renouvelé et transformé, même si ces transformations ne sont pas visibles au premier regard. 

Il est important de comprendre que dans ce cas il s’agit d’abord et avant tout d’une transformation intérieure et seulement après, d’une transformation extérieure qui peut être visible ou non. 

A l’image d’autres traditions mystiques, l’initiation chamanique comporte trois parties : la souffrance, la mort et la résurrection qui reflètent l’action créatrice de la cosmogonie. Selon le point de vue de Mircéa Eliade, ce sont « les trois moments d’un seul sacrement et tous les efforts de l’homme primitif visaient à montrer que les trois moments doivent être liés. On ne peut pas rester dans un de ces moments ; le mouvement, la reproduction se poursuivent sans cesse ». 

L’initiation commence quand le maître, les dieux ou les esprits, emmènent le néophyte loin de sa famille au fin fond de la forêt, dans la jungle, dans une maison spéciale, dans une caverne, sur un terrain enclos, etc. Le plus important est que ce lieu soit retiré du monde. 

L’abandon de la maison paternelle est une action profondément symbolique parce qu’une maison dans l’esprit commun signifie une situation stable dans le monde. Donc, lorsqu’un futur chaman abandonne sa maison, il témoigne son désir de sortir du monde ordinaire, matériel, de rejeter le passé, rompre avec lui dans le sens propre de ce mot, et de se concentrer complètement sur son monde spirituel intérieur. 

Isolé avec son maître ou les esprits-protecteurs, le néophyte apprend les mystères sacrés: les mythes sur les dieux et la création du monde, les vrais noms des dieux et des esprits, la fonction et l’origine des objets chamaniques, etc. Dans sa retraite il découvre non seulement les mystères de son métier, mais aussi ceux de l’univers. Ce n’est pas par hasard qu’un mystique doit savoir discerner le côté caché des choses communes après l’initiation, c’est-à-dire discerner le monde spirituel derrière le monde matériel. Souvent on représente ainsi l’initiation par une mort rituelle symbolisant le dépassement de l’état du monde profane, non sacré, propre à l’homme du commun. 

Chez les esquimaux d’Igloulik, l’initiation commence par l’extraction par le vieux chaman de l’âme des yeux, du cerveau et des intestins de l’élève pour que les esprits apprennent toutes les meilleures choses sur lui. Après cette opération, le néophyte obtient la capacité de sortir lui-même l’âme de son corps et de faire des voyages mystiques. Ensuite le candidat assis sur un banc dans sa hutte, appelle les esprits pendant de longues heures, comme le lui a appris son maître. 

A leur terme, il éprouve une « illumination » – une sorte de lumière mystérieuse ressentie dans le corps entier et dans la tête. Elle ressemble à un feu éclatant qui donne la capacité de voir dans l’obscurité, dans le sens propre comme dans le sens figuré. Les esquimaux du Labrador croient que c’est le Grand Esprit Tongarsoak qui apparaît sous la forme d’un ours devant le candidat. 

Une pratique similaire pour choisir le futur candidat pour le rôle du chaman selon la volonté de la famille, existait aussi chez les anciens Kazakhs et Kirghizes. Le néophyte était choisi directement par les vieux chamans, en majorité parmi les orphelins. En premier lieu, les chamans étaient intéressés par les enfants enclins aux maladies nerveuses, aux changements d’humeur. Un enfant qui sait passer vite d’un état d’irritation à l’état normal a plus de chances de devenir un bon chaman parce que ce sont ces enfants-là qui sont les plus sujets aux transes extatiques, selon l’opinion générale. 

Indépendamment de la méthode de sélection, un candidat ne devient chaman qu’au terme des doubles instructions : 

– extatique, incluant rêves, visions, transes, instructions des esprits protecteurs, des divinités et autres ; 

– didactique, composée de l’acquisition des connaissances chamaniques ésotériques (techniques, noms et fonctions des esprits, mythologie, langage mystique, etc.) 

Comme on a pu le constater, le trait commun de presque toutes les formes de la sélectivité chamanique est la « maladie chamanique » : une rangée de phénomènes maladifs accompagnant une manifestation spontanée ou une transmission héréditaire de la vocation chamanique. Il y a eu des cas où les jeunes hommes des familles des chamans qui ont été élevés dans l’esprit athéiste de l’époque soviétique, souffraient néanmoins d’une « maladie chamanique » et n’en guérissaient qu’en commençant à pratiquer les techniques chamaniques. 

Un des traits caractéristiques de la « maladie chamanique » est que la résistance à cet état ne fait qu’augmenter les souffrances et ne mène pas à la solution du problème, parce que le fait d’être « élu » ne laisse pas le choix à la personne. Mais une fois que l’individu est livré à la volonté des esprits ou des dieux (une fois l’initiation chamanique reçue) – les sensations maladives disparaissent prouvant justement la nature « chamanique » de la maladie et non un dérangement psychique pathologique. 

L’Ile Vaïgatch (en langue nénètse « Hebidya Ya » ce qui veut dire « la terre sainte ») est depuis les temps primitifs une « porte » dans l’Arctique de l’Est. C’est la seule île sacrale en Arctique qui abrite un lieu de culte des divinités principales. Depuis la nuit des temps sur cette île interagissent et se développent les deux cultures pomore et nénètse. Les anciens sanctuaires avec des idoles en pierre et en bois sont des témoignages uniques des croyances des peuples autochtones préservées jusqu’à nos jours. 

Le phénomène de « la maladie chamanique » a intéressé de nombreux savants : Olmarks, Nioradzé, Bogoraz-Tan, Abrel, etc. De nombreuses interprétations ont été données : la maladie chamanique fut notamment étudiée en psychopathologie (qualifiée d’hystérie arctique – une maladie répandue aux latitudes nord et liée au manque de lumière, de vitamines, au froid, etc.). Mais ce point de vue a été invalidé par Mircea Eliade qui affirmait que « l’hystérie arctique ne peut pas être la cause de la « maladie chamanique » pour la raison simple que le chamanisme est répandu dans le monde entier et non uniquement dans les régions arctiques et subarctiques, comme s’il allait monter au ciel. J’ai vu très loin devant moi à travers les montagnes comme si la terre était une grande plaine. Mon regard atteignait le bout de la terre ». Maintenant le futur chaman peut voir même les yeux fermés à travers la nuit ; il peut voir les objets et les événements cachés du commun des mortels ; il peut voir également les âmes volées, peu importe qu’elles soient surveillées, cachées dans des pays étrangers éloignés ou bien emportées au ciel ou dans le pays des morts. Il est à noter que l’expérience de la lumière intérieure, décisive dans la carrière de chaman d’Igloulik, est connue d’un grand nombre de mystiques de haut niveau. 

Ainsi, par exemple, dans un nombre d’écoles bouddhistes, l’expérience de la lumière témoigne du succès d’un type particulier de méditations. Pendant la cérémonie d’initiation des Yakoutes, un vieux maître donne au candidat des habits de chaman, un tambour et l’emmène dans une plaine. Là-bas, le chaman aligne à côté du néophyte neuf jeunes hommes sur sa droite et neuf jeunes filles sur sa gauche, se met derrière son dos et lui ordonne de répéter des formules magiques spéciales après lui. Après cela, il montre au candidat les endroits où habite le démon, lui parle des maladies qu’il soigne et comment les guérir. Une fois l’initiation terminée, le néophyte tue un animal de sacrifice, arrose les habits chamaniques de son sang, tandis que la viande est mangée par tous les participants à la cérémonie. 

La cérémonie particulière de l’initiation publique se trouve seulement sur l’île Kar de l’archipel de Nikobar. 

Devant la maison du néophyte se réunissent sa famille et ses amis. A l’intérieur du local les maîtres chamans déposent le candidat par terre, couvrent son corps de feuilles et de branches et sa tête de plumes de poule. Après un certain temps, il se lève et reçoit en usage temporaire d’amulettes et d’autres objets symboliques que le candidat doit rendre aux propriétaires après l’initiation. Le néophyte reçoit aussi une sorte de sceptre et une lance pour combattre les mauvais esprits ; placé sur un trône spécial, il est alors transporté d’un village à l’autre. 

Quelques jours après, les maîtres-chamans emportent le néophyte au fin fond de la jungle (qui est d’habitude associée au pays des morts) où il est initié aux sciences occultes, et, surtout, aux danses et à la vision des esprits. Au retour dans le village, le néophyte danse chaque nuit devant sa maison jusqu’à ce que termine le cycle de la formation chamanique. 

Les chamans des Caraïbes suivent une formation préalable à l’initiation. Ils doivent connaître la mythologie traditionnelle. La formation inclut la préparation physique et psychologique à la transe. L’initiation même dure 24 jours et 24 nuits et comporte quatre parties. Après trois jours de pratique intense, les élèves (normalement, ils sont au nombre de six, initiés en même temps) se reposent. Pendant toute cette période de temps, les élèves habitent dans une hutte construite spécialement dans ce but, couverte de feuilles de palmier, jeûnent, fument beaucoup et mâchent des feuilles de tabac. Ils sont servis par six jeunes filles dirigées par une vieille matrone. Elles ont pour rôle d’approvisionner les candidats en jus de tabac qu’ils doivent boire en grande quantité et d’enduire chaque soir le corps de leur candidat tutoré d’un liquide rouge pour le rendre beau et digne de comparaître devant les esprits. Le massage fait partie du rituel de l’initiation des néophytes du yaman de la Terre de Feu. Ils s’enduisent le visage jusqu’à ce qu’une deuxième ou une troisième « nouvelle » peau apparaisse, visible seulement aux initiés. 

Le savant A. Metro en évoquant les récits des voyageurs sur l’initiation des Caribes des îles Lyabord, rapporte que les maîtres enduisent le corps du néophyte d’une glue végétale et le couvrent de plumes pour qu’il puisse voler et atteindre les demeures des esprits. A la deuxième étape de l’initiation, les futurs chamans apprennent à se transformer en jaguar et en chauve-souris. On retrouve certains éléments de l’initiation des Caribes dans d’autres parties de l’Amérique du Sud : l’intoxication par le tabac est un trait caractéristique du chamanisme sudaméricain. Tous les candidats se fabriquent des clochettes, un « sceptre magique » de deux mètres de long et un petit banc de cèdre sur lequel assis tous les soirs près de la hutte, ils écoutent le maître ou attendent des visions. Ce dernier parle des bons et de mauvais esprits, et, ce qui le plus important, du Grand Père Charognard qui joue un rôle important dans l’initiation. Il ressemble à un indien nu. A l’aide d’un escalier tournan, il aide les chamans à monter au ciel. C’est le Grand Père Indien, le Créateur, qui parle à travers sa bouche. La nuit, les candidats chantent et dansent en rond en imitant les mouvements des animaux. 

Le jour, les initiés restent dans les hamacs des huttes ou allongés sur les bancs à s’enduire les yeux avec du jus du poivre rouge, à réfléchir sur les leçons du maître et à essayer de voir les esprits. 

La cinquième nuit, après une courte période du jeûne absolu pendant lequel même le jus de tabac est interdit, les candidats, se tenant par la main, dansent à tour de rôle sur les cordes tendues par le maître à des hauteurs différentes. C’est à ce moment qu’ils connaissent leur première expérience extatique, qu’ils voient l’arrivée de l’Esprit bienveillant (Toukayana) qui s’adresse à eux : 

« Approche-toi de moi, on va partir au ciel par l’escalier du Grand Père Charognard. Viens, ce n’est pas loin». Ensuite, les futurs chamans rencontrent une très belle femme – Esprit des Eaux (Aman) qui les persuade de plonger dans la rivière avec elle. Sous l’eau elle leur offre des amulettes et des formules magiques. 

Le voyage conduit ensuite ceux qui sont en train d’être initiés à la croisée de la Route de la Vie et de la Mort où ils peuvent choisir soit le chemin vers « Le pays sans soir » soit celui vers « Le pays sans lever de soleil ». Ensuite, il leur est révélé le destin de l’âme après la mort. 

Une douleur insupportable ramène les néophytes à la réalité : c’est le maître-chaman qui couvre leur peau de « maraka », la natte spéciale dans laquelle grouillent des fourmis vénéneuses. 

Lors d’une nuit de la quatrième période, le maître place à tour de rôle plusieurs candidats sur une estrade pendue au plafond de la hutte à l’aide de plusieurs cordes tordues. En se détordant, elles font tourner l’estrade. 

Les futurs chamans passent à travers les différentes sphères célestes et rencontrent des esprits différents. 

En cas d’initiation publique, c’est le monde de l’au-delà qui devient « le territoire de la retraite » où le chaman se rend pendant ses voyages. Pendant l’initiation, il est indispensable d’« arracher » le candidat du monde habituel. Il n’y a qu’au-delà de la vanité qu’on peut acquérir la connaissance secrète. Pour que la connaissance sacrée soit transmise, il est nécessaire de créer un espace sacré qui regroupe tous les endroits énumérés. Le temps humain est arrêté même dans les rêves qui jouent un rôle important dans le choix du chaman, comme dans les initiations. Les premiers rêves d’initiation commencent parfois dans la prime enfance comme on peut l’observer chez certaines tribus du Grand Bassin (plateau dans les Cordilières). Ils apprennent de leurs rêves leur nouveau mode de vie, les tabous concernant leur futur métier, quels objets il faut utiliser pendant la guérison, etc. L’histoire d’un chaman de la tribu Paviotso raconte qu’il s’est fait initier dans son sommeil. « A l’âge de 15 ans, j’ai décidé de devenir un chaman-guérisseur. Pour réaliser cela, j’ai dû me rendre en haut des montagnes où, isolé dans une caverne, j’ai adressé une prière aux esprits : 

– Mon peuple est malade, je veux l’aider… 

A la tombée de la nuit je me suis couché mais je n’ai jamais réussi à m’endormir ; j’entendais un bruit bizarre qui me dérangeait tout le temps : les cris et le rugissement des bêtes (ours, lions de montagne, cerfs, etc.) Mais après de longues souffrances, à force d’essayer, je me suis endormi quand même. Et j’ai rêvé alors d’une séance de guérison chamanique. Je voyais le malade, je l’entendais gémir et je voyais le chaman en train de le guérir et chanter des invocations. Mais le malade est mort malgré tout. Alors les membres de sa famille se sont mis à pleurer, le rocher a commencé à se fendre et dans la fissure créée, un homme grand et mince est apparu qui tenait dans sa main une plume d’aigle. Il m’a ordonné de trouver encore quelques plumes et de guérir les hommes ». 

Dans les rêves, le temps mythologique se rétablit, ce qui permet au futur chaman d’assister à l’enfance du monde et grâce à cela devenir le témoin de la création et des premières révélations mystiques. La mort rituelle tient une place importante dans l’initiation chamanique. Elle signifie le retour du néophyte dans un état embryonnaire dans le sens cosmologique, c’est-à-dire le retour au point « zéro », au premier moment de la création quand la forme n’existait pas encore. C’est le retour dans un état pré-cosmique, dans le chaos, l’éternité, le début de l’existence. 

Cela se manifeste très clairement dans les dites « maladies chamaniques » quand le candidat perd totalement l’esprit et devient « fou ». Ce « chaos psychique » est le signe que le néophyte se trouve en état « d’auto-destruction », de retour dans le néant et qu’une nouvelle individualité est sur le point d’apparaître ; l’homme commun s’efface devant l’homme sacré. 

De ce point de vue, toute « maladie chamanique » joue un rôle d’initiation en soi parce que les souffrances qu’elle provoque coïncident avec les épreuves de l’initiation ; la retraite psychique de l’élu est équivalente à la retraite pendant la cérémonie de l’initiation et l’approche de la mort ressentie par le malade (agonie, perte de conscience etc) symbolise la mort rituelle. Pendant l’initiation chez les Maidu, le candidat est placé dans un fossé rempli par « le médicament » puis « succombe » au « médicament – poison ». A la fin de l’initiation le néophyte peut tenir entre les mains les pierres chauffées au rouge sans se brûler. 

Le rituel de l’initiation chamanique des Nénètses, ainsi que des Ulchis s’appelle « nihelini » ce qui veut dire mot à mot « le chaman s’ouvre ». Il dure plusieurs jours et commence par la guérison du futur chaman. Quand les parents remarquaient que le malade avait les traits caractéristiques de la « maladie chamanique », ils envoyaient chercher un vieux chaman expérimenté. Il arrivait souvent que le malade prédise de quel village le chaman allait venir, dans quelle barque il allait arriver. Le chaman invité commençait à faire de la sorcellerie et s’il voyait vraiment des signes prouvant qu’il avait un futur chaman devant lui, il ordonnait de fabriquer une figure anthropomorphe d’esprit d’ayami et de la mettre dans une vieille maison sur un revêtement appelé bécéré. 

Après cela le chaman commençait l’initiation. Au début, sept ou huit hommes mettaient les habits de chaman et dansaient avec un tambour à tour de rôle dans la chambre où avait lieu la cérémonie. Le chaman même se mettait à exécuter les rituels après eux. 

Il partait à la recherche de l’esprit qui torturait le malade depuis longtemps. Ayant trouvé l’esprit, il le purifiait en le chassant à travers monts et vallées, etc. C’était nécessaire pour qu’il se débarrasse de ses attributs négatifs et qu’il puisse servir au futur chaman dans l’avenir. On croyait que plus l’esprit courait et volait à travers monts et vallées, plus il se purifiait. Pendant cette « marche » purificatrice, le vieux chaman demandait tout le temps au néophyte : 

– Où est l’esprit en ce moment ? 

– On ne le voit pas, il se repose sur un nuage noir. 

A entendre ces réponses, les assistants se persuadaient qu’ils voyaient un nouveau chaman devant eux : il voit le chemin de l’esprit qui le dérangeait pendant la maladie. 

Ainsi l’ancien et le nouveau chaman se parlaient jusqu’à ce que l’esprit qui rôdait autour s’approche de la maison du malade. A ce moment le chaman disait : 

– Il approche ! 

Le futur chaman se levait en sursaut, attrapait le tambour avec un maillet, commençait à tourner en rond dans la chambre et à chanter (c’est un moment important, parce que l’expression la plus répandue pour signifier l’initiation chamanique chez les Nénètses et les Ulchis est « ang-mani nihelini », ce qui veut dire littéralement « ouvrir la bouche et se mettre à chanter comme un chaman ») puis tombait inconscient pour un moment. Une telle conduite prouvait que le malade était déjà devenu chaman. 

Quand l’esprit entrait dans la maison, le vieux chaman l’attrapait par la bouche et l’insufflait dans la statuette ayami. A ce moment, une transformation importante se produisait : l’âme du malade (panyan) se transformait en l’âme du chaman (néoukte). Cependant, selon l’avis de certains chamans, pendant le rituel d’initiation, tous ne devenaient pas chaman au moment même où le chaman insufflait l’esprit dans la statuette. La preuve de la transformation était apportée par le fait que l’initié se mettait tout de suite à chanter « à la chaman » et continuait dans les jours qui suivaient. Avec le crépuscule on laissait la statuette sur le revêtement en bois. Le lendemain un rituel spécial se déroulait dans la maison du candidat auquel il participait pleinement. Le vieux chaman en costume rituel, avec des copeaux sur les plis des bras et des jambes accrochait sur son dos des statuettes au moyen d’étroites ceintures. Le néophyte était attaché par une autre ceinture à la statuette de façon qu’elle se trouve toujours face à lui. Il fallait que le futur chaman s’habitue à la statuette ayami, parce qu’elle contenait son esprit-allié qui devait toujours l’accompagner. Un aide soutenait la statuette. Puis on nouait le cou, les bras et les jambes du candidat avec les plantes rituelles, on lui donnait le tambour et le maillet. Comme le plus souvent le malade sortait d’un état prolongé de maladie, il était soutenu par les bras. Derrière lui marchait encore un homme avec un tambour. A la question « Comment l’âme d’un homme du commun se transforme en néoukte ? » un chaman avait répondu : « Comme si le panyan se retournait du dos sur le ventre ». D’autres disaient que l’âme devient néoukte quand le panyan « se retourne à l’envers ». 

Le chaman récitait des incantations magiques et la procession faisait plusieurs fois le tour de la chambre. Elle sortait ensuite dans la rue et faisait le tour de toutes les maisons dans le village. On croyait qu’une telle tournée contribuait à la guérison de l’initié et l’affermissait. Selon une croyance, dans chaque village il recevait « une particule de bonheur ». Dans chacun d’eux, la procession faisait un tour rituel. On faisait boire au vieux et au nouveau chaman de l’eau avec des feuilles de lédon et aux autres participants de l’eau bouillie refroidie. Pendant tout ce temps-là le chaman récitait des incantations, battait le tambour et dansait un peu, tandis que l’initié, normalement encore faible, restait passif envers ce qui se passait. Il n’intervenait que très rarement dans la procession rituelle. Ayant fait le tour de toutes les maisons, la procession revenait vers la maison du malade où le chaman détachait sa ceinture de la statuette ayami et l’initié ne suivait qu’elle. L’homme qui tenait la statuette ayami commençait à bouger de plus en plus vite jusqu’à se mettre à courir et le futur chaman avançait avec lui. A mesure que la course accélérait, le futur chaman se mettait à crier, chanter « à la chaman » et quelque temps après, entrait en extase. 

Ensuite, on apportait la statuette dans la maison ; pendant un certain temps, les deux chamans, le vieux et le nouveau, récitaient les incantations ensemble, mais ce dernier tombait sur le lit et s’endormait, affaibli et épuisé. A ce moment-là le vieux chaman se mettait à nourrir l’esprit et le rituel était terminé. 

Si le lendemain « la maladie chamanique » était toujours présente, la cérémonie recommençait. On fabriquait de nouveau une statuette de l’esprit ayami. Et cela se répétait jusqu’à la guérison. Mais ces reprises se produisaient très rarement et étaient considérées comme très bizarres. 

Par la suite, l’initié menait une vie normale ; son comportement ne différait en rien de celui des autres. Mais quand on l’invitait à guérir quelqu’un, il ne pouvait pas refuser parce que les esprits lui ordonnaient de pratiquer le chamanisme et il serait tombé dans le cas contraire de nouveau gravement malade. 

Si c’étaient les dieux de là-haut qui initiaient le chaman, la cérémonie d’initiation se construisait sur un autre schéma. Deux-trois nuits avant l’initiation le vieux chaman nettoyait le derguile de l’initié (le territoire chamanique mythique héréditaire) pour le débarrasser de l’ordure des esprits qui se trouvaient là-bas. Après, accompagné de ses esprits alliés, il se rendait avec le néophyte dans les sphères de là-haut où, selon les croyances, se trouvait une ville avec une multitude de maisons entourées de haies et remplies de gardiens. Les chamans s’approchaient de l’une des maisons et demandaient qu’on leur ouvre la porte. La porte s’ouvrait doucement et ils se retrouvaient dans une grande pièce où était aussi un vieux barbu Endour Ama, le dieu suprême. Les chamans s’inclinaient bas devant lui et lui demandaient un ayami, sur quoi le vieux répondait : 

– D’accord, prenez-le si vous le trouvez. 

Les chamans s’en allaient à la recherche de l’esprit ayant torturé le candidat pendant la maladie. Ils faisaient le tour de tous les entrepôts d’esprits jusqu’à ce que l’initié, l’ayant reconnu, s’exclame : 

– C’est lui, je l’ai reconnu ! 

– Prends-le, répondait le chaman ce qui était une mise à l’épreuve, parce que seuls les plus forts des futurs chamans étaient capables de s’emparer de l’esprit seuls, sans l’aide du vieux chaman. 

Le néophyte attrapait l’esprit et rentrait sur terre avec le vieux chaman où il l’insufflait dans la statuette ayami. 

Selon d’autres traditions chamaniques, Endour Ama accompagnait les deux chamans dans ses entrepôts, ouvrait tous les tiroirs et leur montrait différents esprits. Les Bouriates croient qu’avant de devenir chaman, le candidat reste malade pendant longtemps et reçoit ensuite les visites des âmes des ancêtres-chamans. Ils l’entourent et commencent à le torturer : ils le tourmentent, le battent, le pincent, lui coupent le corps avec le couteau, etc. Le néophyte même pendant ce temps-là ne montre aucun signe de vie, son visage et ses mains bleuissent, son pouls est à peine distinct et sa respiration presque inaudible. 

Dans l’initiation chamanique des Bouriates, une place importante était réservée au rituel du «lavage du corps » du chaman. Il consistait à battre le jeune chaman par un faisceau de verges mouillées dans l’eau de source avec des herbes différentes. Pendant toute cette cérémonie le chaman prêtait serment de servir les hommes. Selon un autre récit du chaman bouryate, les esprits des ancêtres emmènent l’âme du candidat à « la réunion des chaytans » où il est cuit dans une marmite pendant sept jours et où lui est enseigné l’art des chamans. Le néophyte pendant toute la période de l’initiation est allongé comme s’il était mort. Pendant tout ce temps-là, tous les membres de sa famille restent assis à coté de lui et chantent : « Notre chaman va rescusciter et nous aider ! » Pendant la cérémonie de l’initiation aucun étranger ne doit toucher le corps de l’initié. 

Dans les initiations chamaniques, l’ascension au ciel dont aucune initiation n’est exemptée joue un rôle central. L’escalade d’un arbre ou d’un poteau, l’envol magique au ciel ; tout cela reflète l’idée mythique qu’auparavant le lien entre la terre et le Monde d’Au-dessus était plus fort et que l’homme pouvait voyager facilement entre eux. Ainsi, l’initiation chamanique des Bouriates inclut une ascension symbolique au ciel. 

Dans la cérémonie d’initiation des Mentavéens, les esprits tiennent une place importante. Ils emportent le candidat au ciel où il reçoit un corps magique semblable aux corps des esprits et qui au retour sur terre devient chaman. Les esprits ayant participé à son ascension deviennent ses esprits alliés. 

Selon d’autres sources, le candidat perd conscience pendant et tout de suite après l’initiation et son esprit fait l’ascension. Chez les Viradjours le maître fait entrer les cristaux en acier dans le corps du néophyte, grâce à quoi il acquiert la capacité de voir les esprits. Après cela le vieux chaman mène le candidat au cercueil où il reçoit des pierres magiques des morts. Ensuite le néophyte rencontre un serpent qui le conduit dans le fond de la terre où se trouvent beaucoup d’autres serpents qui l’entourent de la tête aux pieds ; en glissant sur lui et en le frictionnant, ils génèrent en lui des forces magiques. Après la fin de la cérémonie, le serpent devient son totem personnel. 

Ensuite le candidat accompagné du vieux chaman grimpe au ciel par une corde à la rencontre de l’oiseau ayamé. A la fin de leur voyage ils entrent dans la demeure de l’Essence Suprême par la porte qui ouvre et ferme très vite. Selon les croyances des Viradjours, si la porte touche le candidat, il perd sa puissance magique et, rentré sur terre, souvent meurt peu après. Il n’y a que les chamans qui puissent passer à travers cette porte. 

Lors de l’initiation chez les chamans Yakoutes, le maître réalise initialement un long voyage extatique en compagnie de l’âme du candidat pendant lequel il montre à son élève les sentiers qui mènent à l’endroit où habitent les maladies tourmentant les hommes. A la fin du voyage le maître et le candidat mettent des habits rituels et font ensemble un rite chamanique pendant lequel ils volent dans le ciel dans une nacelle attelée avec des aigles. Là-bas il parle aux esprits et leur demande les médicaments pour guérir les gens de sa tribu. Après l’étude de chaque maladie, le maître crache dans la bouche de l’élève pour lui faire connaître « les chemins infernaux des malheurs ». Après l’initiation, le vieux chaman accompagne l’élève dans les Mondes d’Au-dessus chez les esprits célestes. On croit qu’après ce voyage le néophyte obtient un « corps initié » et a le droit d’exercer le métier de chaman. 

Dans plusieurs mythes et légendes il s’agit des premiers hommes montés au ciel. Les ancêtres des Marys avaient pour coutume de monter au ciel et de descendre par l’arbre ; chez les Viradjours, le premier homme créé par l’Essence Suprême Bayamé, pouvait monter au ciel d’abord par un sentier de montagne puis par un escalier jusqu’à Bayamé. On estime que les chamans sont de nos jours toujours capables de faire de même. 

Pour réaliser l’initiation, les Evenques de Mandchourie préparent d’abord l’endroit où elle se déroulera. Ils préparent d’abord deux arbres dont ils coupent les grandes branches tout en laissant le sommet. Ensuite ils les unissent par un nombre impair de traverses d’une longueur de 90-100 cm et placent à côté de chaque arbre une petite statuette humaine (an’nakan) de 30 cm à peu près. A quelques mètres du sud ils placent un troisième arbre qu’ils attachent à l’arbre de l’est à l’aide d’une corde ou d’une ceinture étroite. Tous les 30 cm de corde sont décorés de rubans et de plumes d’oiseaux différents. Parfois ils utilisent la soie rouge de Chine ou la frange peinte en rouge. Ils mettent aussi une bague en bois sur la corde de manière à ce qu’elle puisse se déplacer d’un arbre à l’autre. La corde symbolise le chemin (le pont) sur lequel vont se déplacer les esprits. 

Le candidat s’assoit entre deux arbres et se met à jouer du tambour, tandis que le maître appelle les esprits tour à tour et les envoie au futur chaman à l’aide de la bague placée sur la corde. Avant de convoquer l’esprit suivant, il récupère la bague. Dans le cas contraire les esprits entreraient dans le chaman et n’en ressortiraient pas. Le néophyte deviendrait non pas un chaman, mais un fou et un possédé. Après que tous les esprits aient été convoqués et aient possédé le candidat, le maître commence à questionner le candidat qui doit raconter l’histoire de chaque esprit : qui était-il quand il était en vie, ce qu’il faisait et quand est-il mort. Si le candidat passe cette épreuve avec succès, on apporte le sacrifice aux esprits du clan. 

L’initiation peut durer de 3 à 9 jours, mais le nombre de jours sera toujours impair. Pendant toute cette période, tous les soirs, le chaman grimpe sur la plus haute traverse et reste là-haut pendant un certain temps. Comme le remarque à juste titre S. M. Shirokogorov concernant les Toungouss et les Mandchous, il ne s’agit pas dans leur cas d’une vraie initiation, parce qu’en réalité, les candidats ont été consacrés aux esprits bien avant leur reconnaissance formelle par les maîtres-chamans et la communauté. 

La cérémonie d’initiation publique des Mandchous incluait autrefois la marche sur la braise pour vérifier s’il était vraiment le maitre des esprits qu’il prétendait posséder. 

Pour confirmer le statut du futur chaman, les Mandchous organisaient l’épreuve suivante : ils perçaient neuf trous dans la glace ; le candidat avait pour objectif de plonger dans l’un des trous et, après avoir nagé sous la glace, d’émerger dans le suivant, et ainsi de suite jusqu’au neuvième trou. Cela rappelle les épreuves de yoga tantrique tibétain quand l’adepte, par une nuit enneigée d’hiver, devait faire sécher un certain nombre de draps mouillés sur son corps. Il faut dire que la capacité d’émettre de la chaleur caractérise les chamans. Chez les chamans esquimaux, la tenue au froid est la preuve incontestable de leur vocation chamanique. 

Dans de nombreuses cultures l’ascension initiatrice donne au futur chaman la capacité de voler et de couvrir en un clin d’oeil de très grandes distances. Souvent on retrouve dans l’initiation le symbole du pont (la corde unissant le bouleau sur lequel sont placés des rubans, l’arc-en-ciel, etc.). Un tel symbole de transition est utilisé dans d’autres systèmes mystiques aussi. Par exemple, dans la mythologie iranienne, les défunts passent par le pont Chinvat sous lequel s’ouvre le gouffre de l’enfer. Si pour les hommes justes, sa largeur est de neuf lances, elle devient, pour les pécheurs, étroite comme une lame. Les mystiques qui effectuent un voyage extatique au ciel prennent le même pont. On retrouve la même image dans la tradition finnoise où nous voyons le pont semé de clous et d’aiguilles traversant l’enfer que les défunts et les chamans dans l’état d’extase mystique empruntent pour leur voyage dans l’autre monde. 

Le pont « plus étroit qu’un cheveu » réunissant la terre aux sphères astrales et au paradis existe également chez les mystiques arabes. Saint Paul voit dans sa vision un pont « étroit comme un cheveu » unissant notre monde au paradis. Les légendes moyenâgeuses nous parlent d’« un pont caché sous l’eau » et d’ « un pont-glaive» qui provoquent à leur passage souffrances et tortures. Mais c’est ce pont-là que doit traverser Lancelot, le héros des romans du cycle d’Arthur. L’image du pont étroit était utilisée aussi pour montrer la difficulté de l’ascension à la connaissance mystique du monde. 

Le motif de l’ascension au ciel par un pont (dans toutes ses variations) pendant les initiations nous renvoie aux temps primitifs quand la communication entre le ciel et la terre était plus facile, mais qui fut interrompue à la suite d’un événement inconnu, probablement, une erreur humaine. Ainsi, pendant l’initiation, ce lien important se rétablit. Mircea Eliade écrivait à ce sujet : « Les guérisseurs, les chamans et les mages ne font rien d’autre que de rétablir, même temporairement, même pour eux-mêmes, ce « pont » entre le ciel et la terre qui était accessible à l’humanité auparavant. » 

Selon les croyances des Oudmourtes, le dieu suprême accompagné d’un vieux maître expérimenté vient chez celui qui est destiné à devenir chaman (toupo). L’apprenant, en jouant des gusli (gusli d’Inmar – instrument dont les fonctions sont proches de celles du tambour chamanique ouvrant le chemin vers d’autres dimensions) conduit le néophyte dans un champ, au bord d’un grand ravin ou d’une large rivière à travers laquelle des cordes sont tendues (un autre symbole du pont « plus étroit qu’un cheveu »). Là-bas le candidat rencontre soixante-dix-sept sapins. S’il sait compter tous les sapins, il obtient la faculté de jeter le mauvais sort et de soigner les hommes. Le but du futur chaman est de danser sans tomber sur les cordes tendues unissant la terre et le ciel. Seul celui qui sait le faire peut être nommé chaman. 

Il y a un grand nombre d’exemples où l’arc-en-ciel symbolise un pont unissant les mondes (notamment, la terre et le ciel). Ainsi, pour atteindre les hautes sphères et libérer les âmes des morts, le héros maori Tavgaki et le héros havanais Aukélénouiaiku utilisent l’arc-en-ciel. Le ciel et la terre sont unis par un pont-arc-en-ciel (Bivrest) dans la mythologie scandinave. En parlant de l’arc-en-ciel, il faut mentionner la symbolique des sept couleurs associées aux sept cieux, aux sept marches, à l’Arbre-Monde à sept branches très répandu dans les mythologies. Ainsi, par exemple, les rubans multicolores utilisées par les Bouriates pendant l’initiation chamanique sont nommés arcs-en-ciel. Ils symbolisent l’ascension du chaman au ciel. Sur les tambours chamaniques on retrouve souvent les dessins de l’arc-en-ciel perçus comme un pont dans le ciel. L’image de l’arc-en-ciel comme chemin entre les mondes existe aussi au Japon, en Indonésie, en Mélanésie, en Méssopotamie et d’autres régions. 

La plupart des initiations incluent le démembrement du corps du candidat qui précède la régénérescence des organes intérieurs. C’est un trait caractéristique de l’initiation chamaniqnue. Il est intéressant de noter que, selon les croyances des Orochis, pendant la cérémonie d’initiation, non seulement le corps, mais aussi l’âme du candidat subissaient les transformations. On croyait que l’âme du néophyte était refaite et bercée par les vieilles femmes célestes et qu’elle passait ensuite entre les mains des forgerons. Selon les croyances des Yakoutes, les âmes des futurs chamans étaient rééduquées par les esprits d’en-haut dans les arbres. Des oiseaux différents les gardaient sur les branches et dans des creux des arbres et les nourrissaient avec une nourriture spéciale. Ce processus durait pendant plusieurs années. Et ce n’est qu’à son terme que le corps du futur chaman subissait le démembrement et renaissait. Les Papous kivai racontent qu’un jour, un homme fut tué la nuit par l’esprit d’un mort (oboro). L’esprit enleva tous les os du corps et les remplaça par les os de l’oboro. Quand l’esprit ressuscita l’homme, ce dernier devint semblable aux esprits, c’est-à-dire qu’il fut transformé en chaman. L’oboro lui offrit un os pour qu’il puisse convoquer les esprits. 

Chez les Votyoballouks c’est une créature surnaturelle, Ngatya, qui initie le chaman-guérisseur. Elle éventre le candidat et place dans son corps des cristaux de roche possédant une force magique. L’introduction dans le corps des cristaux de roche est un des traits caractéristiques du chamanisme sud-américain. Les cristaux sont souvent une source de force magique et bienfaisante. Pendant la guérison de hala sont utilisés des cristaux de quartz des esprits de l’air que l’Essence Suprême a laissés tomber du ciel. Les cristaux de roche, étroitement liés au serpent – arc-en-ciel, donnent au chaman la capacité de monter au ciel. On retrouve des croyances semblables chez les noirs de Malakka. Chez les chamans des Dayaks de la mer de Saravaka (Kalimantan), il existe « des pierres de lumière » qui reflètent tout ce qui se passe dans l’âme du malade et, par conséquent, qui montrent où elle rôde. 

Un des chamans de la tribu Ounmantiéra a rapporté le témoignage suivant sur son initiation : « Un jour, un vieux chaman-guérisseur vint me voir et lança sur moi avec une fronde plusieurs pierres d’atnongara (des petits cristaux donnant la force magique au chaman, selon une croyance ; on estime qu’elles sont placées à l’intérieur du corps et les chamans peuvent les enlever s’ils en ont envie). Les unes me touchèrent la poitrine, la tête ; d’autres me percèrent les oreilles (en entrant par une oreille et en sortant de l’autre). Finalement, je tombai mort. Tandis que je gisais mort, le chaman-guérisseur enleva tous les organes intérieurs de mon corps et les laissa par terre toute la nuit. Le matin il les étudia avec attention et les remit à leur place en mettant avec eux les pierres atnongara. Ensuite il me couvrit de feuilles et se mit à chanter jusqu’à ce que mon corps s’enfle. Après il mit de nouveau des pierres atnongara dans mes mains et mes pieds et me tapa légèrement sur la tête. Je repris conscience mais le vieux chaman ne me laissa pas rentrer à la maison et me fit boire de l’eau et manger de la viande qui contenait des pierres atnongara. Après un certain temps je m’endormis et quand je me réveillai, je n’arrivai pas à comprendre où je me trouvais. J’avais oublié tout ce qui était lié avec ma vie précédente. Mais le vieux chaman-guérisseur m’emmena à la maison et me montra ma femme. C’est ainsi que j’ai passé l’initiation et que je suis devenu le chaman-guérisseur ». 

Selon les croyances des chamans de l’Altaï, pendant l’initiation, les esprits les éventrent, boivent leur sang et mangent leur corps. 

On retrouve le même schéma d’initiation chez les chamans-guérisseurs australiens. Ainsi, dans la tribu du port de Jackson, le néophyte doit s’endormir sur une tombe. Alors un esprit des morts vient vers lui, l’attrape par la gorge, l’étrangle, tire ses intestins et les remplace par des nouveaux après quoi le chaman ressuscite. 

Les chamans esquimaux racontent souvent qu’un animal blesse parfois le candidat et qu’il l’écartèle ensuite ou le mange. Après quoi les os rongés se couvrent d’une nouvelle chair. Dans certains cas, après un acte rituel pareil, l’animal devient l’esprit allié du futur chaman. 

Parfois l’initiation se transformait en fête générale, par exemple, chez les Nénètses, chez lesquels l’initiation chamanique concernait toute la tribu. C’est pourquoi la famille du candidat et de nombreux hôtes y participaient parce que la famille ne pouvait pas toujours assumer toutes les dépenses de la cérémonie. Au cours de celle-ci, on sacrifiait neuf sangliers. Les chamans buvaient leur sang, tombaient en extase et effectuaient une longue séance chamanique. En général, on peut dire que le rituel relevait plus d’une fête, une sorte de réjouissance populaire. Elle durait plusieurs jours, tout le monde chantait et dansait (il devait y être pas moins de neuf danseurs). 

De dures épreuves physiques pendant l’initiation font partie d’un des aspects principaux de l’initiation des habitants de la Terre de Feu (Selknams et Yamans). Les tortures subies par les néophytes dans certaines traditions chamaniques symbolisent, entre autre, les tortures et les souffrances causées par les démons. On estime que ce n’est pas les chamans, mais les mauvais esprits qui coupent en morceaux, torturent, ébouillantent et cuisent les initiés. Les souffrances physiques causées au néophyte le mèneraient à l’état de celui qui est « dévoré » par un démon-animal, qui est démembré avec les dents et digéré dans le ventre du monstre de l’initiation. 

Pendant les cérémonies d’initiation des Nénètses et des Khantys des environs de Touroukhansk, le candidat doit tourner le visage vers l’occident et le maître demande à l’Esprit de la nuit d’aider le néophyte et de lui donner un guide. Il chante ensuite un hymne à l’Esprit de la nuit et l’élève répète après lui. Quand l’Esprit de la nuit arrive, il fait subir au candidat plusieurs épreuves à la fin desquelles il devient un chaman. Les chamans Nénètses pensent que l’initiation même commence après que le néophyte ait appris à jouer du tambour sans lequel il n’arrive pas à voir les esprits. L’un des vieux chamans a raconté qu’il avait reçu l’initiation quand il était en train de battre du tambour. Au son du tambour, des esprits sont descendus, lui ont coupé les bras et les jambes, l’ont décapité et ont démembré son corps. Il est resté dans un pareil état sept jours et sept nuits, tandis que son âme, accompagnée par l’Esprit du tonnerre, se promenait dans le ciel. Chez un grand nombre des peuples de l’Altaï, l’initiation s’exprimait à travers le rite de la « vivification/animation » par le tambour. Donc, les éléments essentiels de l’initiation sont : l’ascension au ciel, le démembrement du corps du néophyte accompagné par le remplacement de ses organes par de nouveaux organes, la communication avec les dieux ou les esprits, la descente en enfer et la communication avec les âmes des chamans morts, les différentes révélations de la nature religieuse et chamanique (secrets du métier). 

Il est évident qu’on ne les retrouve pas toujours tous en même temps ; parfois il n’y a qu’un ou deux éléments de présents (par exemple, démembrement du corps et ascension au ciel). Le type de l’initiation – céleste ou démonique – ainsi que le rôle de l’Essence Céleste suprême dans l’apparition de la transe extatique et les esprits des chamans morts, « les démons », influent sur le choix de tel ou tel élément. Il ne faut pas oublier que les chamans ne partageaient pas toujours avec les scientifiques les détails de leurs initiations et la connaissance secrète. 

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